« J'ai compris que je devais chanter dans ma langue pour toucher mon peuple » - Wiyaala (Ghana) 2/4
/SOURCE PHOTO : WIYAALA.COM
Nous nous entretenons avec Wiyaala, la Lionne de l'Afrique et icône mondiale de la musique, originaire de Funsi dans la région du Haut Ghana occidental. Dans la première partie, elle a partagé avec nous ses souvenirs d'enfance, ainsi que les personnes et les lieux qui ont inspiré son parcours.
Dans cette deuxième partie, Wiyaala nous parle du lancement de sa carrière, de ses choix audacieux en matière de langue et d'apparence, et des défis qu'elle a dû relever pour se faire une place au Ghana et dans le monde.
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Tu es décrite comme la seule femme au monde à chanter en sisaala. Qu’est-ce qui a inspiré ce choix ? Est-ce lié à cette idée de de rester connectée, ancrée dans ses origines ?
Oui. C'était une décision intentionnelle, et je pense que j'ai été inspirée par Madonna, mais pas vraiment influencée par sa vie réelle, sa façon de s'habiller ou de parler. Je ne pense pas avoir jamais été influencée par quelqu'un au point de le copier. Elle m'a inspirée par sa musique et sa danse, mais quand j'ai commencé à chanter, je n'étais pas du tout comme elle. Ma voix était différente. Et je chantais dans ma langue.
Je parlais déjà anglais et je pouvais écrire en anglais. Lorsque j'ai écrit ces chansons en m’inspirant de Madonna, j'ai donc dû les chanter en anglais. Plus tard, j'ai commencé à chanter uniquement en anglais parce que je n'avais, malheureusement, pas accès aux vidéos des musiciens africains qui chantaient dans leur propre langue. Je ne connaissais même pas Angélique Kidjo et Brenda Fassie. Je n'en avais jamais entendu parler. Je ne les avais jamais vues. Tout ce que je voyais, c’étaient des Afro-Américains ou des Américains blancs qui chantaient. Il m'a donc fallu beaucoup de temps avant de voir des femmes africaines chanter avec plus de puissance. Il n'y avait pas d'internet à l'époque et je n'avais donc pas accès à des vidéos. La seule fois où j'ai entendu des femmes africaines chanter, c'était avec les Shaka Bundu Girls. C'est sur ces mélodies que nous dansions au village.
J'ai donc commencé à chanter en anglais, et c'était bien. Quelques personnes sympathiques m'ont encouragée, mais elles complimentaient uniquement. Elles me disaient : « Wow ! Tu as du talent. Continue. Tu peux chanter en anglais, ta voix ressemble tellement à Céline Dion et aux chanteuses pop du monde entier. Je ne pense pas que tu puisses avancer dans cette partie du monde. Si seulement tu étais née en Amérique, tu aurais eu une carrière à la Céline Dion ». C'est ce que j'ai toujours entendu. Je pense que ces personnes voulaient bien faire, mais une partie de moi se disait : « Non, je n'ai pas besoin d'aller en Amérique pour réussir. Vous devez aussi apprécier ce que je fais ».
C'est à ce moment-là que tu as pris la décision de chanter en Sisaala ?
À un moment donné, j'ai décidé d'aller au studio pour enregistrer mes chansons. Je n'avais pas d'argent, alors j'ai dit à l'ingénieur du son que je chanterais s'ils avaient besoin d'une choriste. En échange, je pouvais enregistrer mes chansons. Lui et un producteur qui était là m'ont dit que j’avais réellement une belle voix. Il a également dit la même chose à propos du fait d'être en Amérique. Mais il m'a aussi demandé de chanter dans ma langue pour qu'ils puissent se faire une idée. J'ai écouté ses conseils et ma voix s'est encore améliorée. Et c'est ainsi que cela s'est passé !
J'ai compris que je devais chanter dans ma langue pour toucher mon peuple. Si je chante dans une langue qu'ils ne comprennent pas, ils ne se rendront probablement même pas compte de mon talent. Lorsque j'ai commencé à chanter dans ma langue, les habitants des villages et des villes alentour étaient très heureux. Et ils parlaient aussi du message de ma musique. C'est à ce moment-là que la magie a opéré au sein de ma communauté et que j'ai explosé localement. Bien sûr, je ne gagnais pas d'argent, mais j'étais populaire. Tout le monde disait : « Wiyaala, tu sais chanter ! ».
Quels étaient les messages de ta chanson à l'époque ? Il semble qu'il y ait eu un lien très fort entre les deux.
Sans raison particulière, j'ai choisi de chanter des choses positives... sur l'éducation. J'ai même écrit des chansons sur l’époque où l'on m'a demandé de prendre mes études au sérieux. J'ai donc fini par devenir la "chanteuse des choses positives". La première fois que j'ai essayé de chanter des chansons sexy, j'ai eu quelques réactions négatives, mais peu à peu, les gens se sont habitués à moi et ont dit « C'est une artiste ».
Certaines décisions ont donc été prises délibérément. J'en suis arrivée à un point où je savais que je devais chanter dans ma langue si je voulais vraiment que mon peuple perçoive mon talent et me soutienne. Lorsque j'en ai eu l'occasion, j'ai commencé à ajouter l'anglais que je faisais déjà. Ils ont alors réalisé : « Elle ne va nulle part, elle est là pour durer ».
Comment s'est déroulé le passage de la popularité au sein de ta communauté et de l'appréciation de ta musique par tes concitoyen.ne.s au statut d'icône mondiale que tu occupes aujourd'hui ?
Eh bien, l’inverse s’est produit. Lorsque j'ai quitté ma communauté et que j'ai continué à chanter dans ma langue, les sons et les rythmes étaient incroyables. J'ai eu la chance de rencontrer mon manager John, qui a décidé d'investir dans le son parce qu'il était génial. Mais après avoir joué pendant un certain temps, la production devait être améliorée. Il m'a dit : « Ta voix est aussi bonne que celle de n'importe quel autre artiste dans le monde. Tu dois investir dans le son. S'il s'agit d'une production locale, nous suivrons la même production et les mêmes rythmes que dans votre pays, mais nous les adapterons aux normes internationales ».
Cela m'a permis de me rendre dans les grandes villes, y compris au Ghana. Cependant, un nouveau problème est apparu. Les gens me disaient : « Nous ne vous comprenons pas. Les chansons sont belles, mais nous n'avons pas la moindre idée de ce dont vous parlez, alors nous ne pouvons pas les jouer pour vous. » Aujourd'hui, lorsque tu vas à l'étranger, les gens se fichent de ne pas comprendre la langue. Ils peuvent simplement ressentir la beauté de l'art à travers ma voix, l'émotion et l'instrumentation. Et pour couronner le tout, je suis arrivée sur la scène musicale en tant que femme africaine qui n'essayait même pas de devenir quelqu'un. Je n'imitais personne. Je suis juste là pour être heureuse, faire de la musique et me faire des ami.e.s. Je suis une simple fille Sissala qui poursuit ses rêves et j'espère que je rencontrerai des gens sympas comme moi. Les gens à l'étranger ont vite compris.
Et ce n'était pas le cas au Ghana ?
Dans certaines régions de mon pays, les gens ont refusé de jouer mes chansons si je ne chantais pas dans leur langue, et pas seulement en anglais. J’ai réalisé qu'il s'agissait de l'habituel : « OK, tu n'es pas de cette région ou du même groupe ethnique ». Et c'est quelque chose qu'ils font entre eux... Nous le faisons tous.tes au Ghana. Ce n'est que récemment que les gens ont abandonné l'idée et se sont dit « si nous décidons tous.tes d’arrêter le tribalisme, cela commence maintenant. Il faut arrêter et profiter de la musique ». Ce n'était donc pas vraiment un problème sur la plateforme internationale. Dans ma région, j'étais également très populaire. Mais ce n'était pas la même chose dans les grandes villes de mon pays.
Peu à peu, les gens se sont rendu compte que je chantais, et ils ont peut-être commencé à se sentir gênés que des personnes étrangères au Ghana chantaient et dansaient sur les rythmes de notre pays alors qu’eux ne le faisaient pas. Je pense que cela a contribué à changer la perception de nombreuses personnes au Ghana. En fin de compte, tout le monde m'a acceptée telle que je suis. Et grâce à l'éducation que l'on m'a encouragée à prendre au sérieux, j'ai pu communiquer ces chansons sur scène et les expliquer à la foule en anglais, une langue très répandue dans le monde.
Cela m'a aidé et aujourd'hui, je peux choisir de chanter en anglais ou dans ma langue. Je peux toujours m'exprimer. C'est pourquoi je dis toujours à toutes les jeunes filles : quel que soit votre talent, obtenez autant d'informations et instruisez-vous autant que possible. Il est possible que ce que vous allez apprendre ne provienne pas uniquement de la salle de classe, mais prenez-le et ajoutez-le à votre art. Cela vous mènera loin.
Tu as mentionné l'accueil initial dans la grande ville ghanéenne, et du fait que cela a pu être dû à tes origines : le nord du Ghana. Penses-tu que le changement de relation avec ta musique a également influencé un changement de perception ? Dirais-tu que ta musique contribue à combler le fossé ?
Le nord du Ghana a toujours été considéré comme la région la plus pauvre du pays. En fait, il était – et est toujours – considéré comme la région la plus jeune. C'est donc comme si le plus jeune obtenait toujours tous les restes. À moins d’être l’enfant préféré.e de vos parents, ce qui signifie que quelqu'un qui participe aux décisions est originaire de votre région, et que vous êtes donc prioritaire. Malheureusement, le Nord semble toujours être le dernier à bénéficier de tout ce qui a trait au développement.
Les choses ont beaucoup changé aujourd'hui, mais à l'époque de mes débuts en tant qu'artiste, cela m'a réellement affectée. Malheureusement, les quelques Nordistes qui ont commencé à chanter n’étaient pas allés à l'école et ne parlaient pas très bien l'anglais pour s'exprimer. C'était très évident lors des interviews, en particulier à la télévision, lorsqu'ils parlaient et que l'on voyait immédiatement qu'ils n'avaient pas reçu une bonne éducation formelle. Mais lorsqu'ils s'expriment dans leur propre langue, les messages de leur musique sont pleins de sagesse. On sait qu'ils sont intelligents, mais qu'ils n'ont pas eu la chance d'aller à l'école. Il y avait également beaucoup de pauvreté.
Donc, quand je suis arrivée sur le devant de la scène, les gens s'attendaient à ce que ce soit également mon cas. Malheureusement, je n'étais pas la Nordiste qu'ils avaient en tête. Lorsque j'ai commencé à parler, tout le monde s'est tu. J'ai donc profité de l'occasion pour informer les gens sur le Nord. Tu serais surprise d'apprendre qu'il y avait des gens au Ghana qui ne pensaient pas que j'étais ghanéenne. Les gens de l'industrie du divertissement pensaient que j'étais née au Nigeria, en Afrique du Sud, au Togo ou au Burkina Faso parce qu'ils ne savaient même pas qu'il existait un endroit appelé Funsi. Tout ce qu'ils connaissent, c'est le Nord, et quand ils disent "Nord", cela signifie une ville ou une région : Tamale et nous parlions tous le dagbani. Ils ne savent pas du tout que nous avons quatre régions du nord et que nous parlons tous.tes des langues différentes. Les cultures sont similaires, mais tellement différentes. Mais ils m'ont presque enfermé dans une case : « Tu es une Nordiste, donc tu dois parler l’haoussa indigène ». J'ai réalisé que c'était l'occasion d'éduquer de nombreux Ghanéen.e.s qui ne savent rien de mes origines.
As-tu constaté des changements ?
J'ai commencé à beaucoup promouvoir le Nord. Nous nous améliorons. J'ai également réalisé qu'à chaque fois que je rentrais chez moi, je devais faire savoir aux gens d'où je venais. Il n'y a rien de gênant à cela. Faites connaître vos racines à tout le monde pour qu'en fin de compte, nous sachions que nous sommes tous.tes pareil.le.s et que nous partons tous de quelque part. Je ne suis qu'une fille ordinaire qui a décidé de se lancer.
Au début, j'ai considéré que cela allait de soi. Je rentrais chez moi et vivais ma vie, et quand il fallait repartir pour une prestation, je le faisais. Puis un jour, je suis rentrée chez moi et j'ai montré ma maison ; tout le monde était choqué. C'était l'occasion de montrer au reste du monde et au Ghana que c'est Wa, et non Tamale. Tamale est différent ; le Haut Ghana oriental est différent. Mais je veux toujours montrer les choses sous un jour positif. Car si je prêche la paix et que je ne suis pas moi-même pacifique, suis-je authentique ?
Dans la troisième partie de notre conversation, Wiyaala partage son expérience en tant qu'artiste féminine à succès dans une industrie dominée par les hommes, ses idées pour la croissance et le développement des femmes dans la musique, et ses propres définitions de son féminisme. Cliquez ici pour lire la suite.